Etienne de Blois
Étienne de Blois puis Étienne d'Angleterre (en anglais Stephen) (vers 10921 ou vers 10962 – 25 octobre 1154), lord d'Eye et de Lancaster (en Angleterre), comte de Mortain (en Normandie) puis comte de Boulogne par mariage, fut roi d'Angleterre de 1135 à 1154.
Étienne fut un monarque peu doué, faible et manquant d'autorité. De plus son règne fut encadré chronologiquement par deux des plus grands rois anglais, Henri Ier et Henri II, ce qui accentue encore plus le contraste. Les historiens des siècles passés et leurs lectorats, préférant les rois forts et dominateurs, furent donc enclins à accepter les descriptions contemporaines du règne, notamment celle de la Chronique anglo-saxonne. Pour cette dernière, le règne d'Étienne fut une période de misère, de famine, de dévoiement, d'oppression et d'anarchie, un « [temps] où les gens disaient ouvertement que le Christ et ses saints dormaient ». Son règne fut certes très chaotique, mais les historiens actuels considèrent maintenant que la condamnation sans appel qu'en firent les chroniqueurs contemporains était largement exagérée. l est le troisième fils survivant d'Étienne-Henri († 1102) comte de Blois-Chartres et d'Adèle († 1137), fille de Guillaume le Conquérant et sœur d'Henri Ier d'Angleterre. Il est probablement déjà né en 1096, et son nom est mentionné dans une charte pour la première fois en 1101. Son père est l'un des principaux barons engagés dans la première croisade. Il s'attire une réputation de traître et de lâche en s'enfuyant de la ville assiégée d'Antioche en 1098, pensant que les croisés vont tous se faire massacrer. De retour dans son comté, il subit les foudres de sa femme qui le renvoie en Terre sainte reconquérir son honneur. Il est tué durant la bataille de Ramla en 1102.
Étienne a pour frères aînés Guillaume de Sully, et Thibaut IV de Blois († 1152), qui succède au comtés de Blois et de Champagne en 1102, et pour cadet Henri († 1171), moine à Cluny, puis abbé de Glastonbury et évêque de Winchester, qui jouera un rôle important durant son règne. Il est le cousin germain de Mathilde l'Emperesse († 1167) et Robert de Gloucester († 1147), respectivement fille légitime et fils illégitime d'Henri Ier d'Angleterre († 1135). Étienne est éduqué avec ses deux frères aînés à Blois, sous le tutorat de Guillaume le Normand1. Geoffroy d'Orléans, plus tard abbé de Crowland, semble aussi avoir été leur tuteur. Il a longtemps été dit qu'Étienne avait été envoyé à la cour royale d'Angleterre pour y être éduqué par son oncle, mais les différents documents juridiques qui nous sont parvenus montrent que c'est faux. Son oncle maternel Henri Ier d'Angleterre le prend sous son aile aux alentours de 1113. Il semble assez probable que c'est à ce moment-là que lui est confié le stratégique comté de Mortain (en remplacement du jeune Robert II de Vitré), au sud-ouest du duché de Normandie, face au comté du Maine et au duché de Bretagne1. Probablement au même moment, il rentre totalement dans la sphère anglo-normande et reçoit de vastes domaines en Angleterre, notamment les importants honneurs d'Eye et Lancaster1. Il s'agit peut-être d'une compensation pour ne pas avoir reçu l'honneur anglais des comtes de Mortain (région de la Cornouaille notamment). Son oncle lui confie aussi quelques-uns des terres et châteaux confisqués aux Bellême (notamment Alençon et Sées)5. Ces terres et châteaux avaient été donnés à son frère Thibaut, comte de Blois depuis 1108, mais avec l'accord d'Henri Ier, il les avait échangés contre ses terres héritées dans le comté de Blois. Vers 1120, il reçoit aussi une partie de l'honneur dit d'Eudes le Sénéchal en Angleterre1. Au début des années 1120, il a des possessions dans 22 des comtés anglais, et est l'un des plus riches barons du royaume. À la mort du roi Henri Ier d'Angleterre, le 1er décembre 1135, le trône doit revenir à sa fille Mathilde l'Emperesse. Comme tous les nobles du royaume, Étienne a par deux fois fait le serment de la reconnaître pour reine. Mais Henri Ier n'a jamais convaincu ses barons que Mathilde pourrait gouverner par elle-même1. Il a aussi refusé leur suggestion qu'elle pourrait gouverner comme régente pour son petit-fils Henri1. Au moment de sa mort, il n'y a donc pas de consensus ferme parmi le baronnage anglo-normand pour accepter Mathilde. Prévenu de la mort du roi, Étienne de Blois en profite. Il traverse la Manche à partir de Wissant et rejoint au plus vite Londres. Là, les habitants le reconnaissent pour roi.
Il se rend ensuite à Winchester, siège du trésor et de l'administration royale, où son frère est évêque. Grâce à ce dernier, il s'assure du soutien de l'évêque Roger de Salisbury, le chef de l'administration, et de Guillaume du Pont de l'Arche, le gardien du trésor royal. En retour, il promet d'être un souverain modèle envers l'Église. Il garantit au clergé une certaine autonomie, notamment dans l'élection des principaux évêques et archevêques1. Ses concessions aux barons du royaume sont plus restreintes. Il a notamment été prétendu qu'il aurait promis la suppression du geld, l'impôt foncier.
Le 22 décembre 1135, après que Hugues Bigot a fait le serment que, sur son lit de mort, le roi avait désigné Étienne comme son successeur, il se fait couronner par Guillaume, l'archevêque de Cantorbéry. Sur le continent, les barons du duché de Normandie avaient proposé à son frère aîné Thibaut de devenir leur suzerain1. Mais une fois informés du couronnement d'Étienne, ils l'acceptent pour duc. Ils n'étaient pas prêts à revivre les problèmes posés par les devoirs de loyauté à deux suzerains différents6. D'après Guillaume de Malmesbury, lorsqu'il était comte, Étienne était un baron particulièrement populaire1. Pour Edmund King, il a, à cet instant, un soutien important de ses barons, et même le pape confirme son élection au trône. Quasi immédiatement, il doit faire face à l'invasion du Nord de l'Angleterre par le roi David Ier d'Écosse. Le roi écossais, oncle de Mathilde l'Emperesse, s'empare notamment des villes de Carlisle et Newcastle-upon-Tyne. Étienne doit réagir vite, car le roi écossais semble agir en faveur de sa nièce, et il impose aux barons anglais qu'il soumet de faire serment d'allégeance à celle-ci. David Ier comprend vite qu'il s'est engagé trop rapidement en Angleterre, et qu'il aura du mal à maintenir sa position sur le Nord. Aussi quand Étienne arrive à York avec une imposante force, payée avec le trésor royal, il lui propose une conférence pour régler la situation à l'amiable. Elle se tient à Durham entre le 5 et le 20 février 1136. Il en résulte le premier traité de Durham par lequel Étienne abandonne Carlisle et Doncaster à son adversaire, et accorde entre autres l'honneur de Huntingdon à son fils Henry.
Au printemps 1136, Étienne tient sa cour de Pâques à Oxford. Il y signe la Charte de Libertés qui reprend les promesses faites lors de son couronnement au clergé et aux barons. À cette époque, il a déjà reçu l'hommage de quasiment tous les barons du royaume, dont Robert, le comte de Gloucester et fils illégitime du roi. Son adhésion est une excellente nouvelle pour le roi, car il est très puissant et influent1. Le seul Baudouin de Reviers refuse de le reconnaître pour roi, probablement parce qu'il n'a pas obtenu un office qu'il demandait à Étienne. Le baron s'empare du château d'Exeter et le fortifie. Étienne conduit lui-même le siège du château pendant les trois mois qu'il dure, et reçoit la soumission de la garnison à l'été. Il ne punit pas les rebelles, et ses barons sont étonnés de son indulgence1. Plus tard, Baudouin de Reviers est simplement forcé à l'exil, et s'en va à la cour du comte angevin. En mars 1137, Étienne d'Angleterre se rend en Normandie et y passe pratiquement toute l'année. En mai, son fils Eustache rend hommage pour la Normandie au roi de France Louis VI Le Gros. L'année précédente, Geoffroy Plantagenêt avait envahi le Sud-Est du duché et forcé les barons normands qu'il avait sous son contrôle à faire serment d'allégeance à sa femme, l'Emperesse16. Il avait installé un poste avancé à Argentan. En juin 1137, Étienne vient à Lisieux avec l'espoir d'assiéger le comte d'Anjou à Argentan, mais des divisions dans son camp entre ses mercenaires flamands, sous le commandement de Guillaume d'Ypres, et les Normands l'obligent à abandonner ce projet1. En juillet, il conclut une trêve avec le comte, l'achetant avec une rente de 2 000 livres sterling par an.
Ses relations avec Robert, le comte de Gloucester, se dégradent, ce dernier étant convaincu que le roi cherche à le faire tuer. Finalement Étienne rentre dans son royaume à la fin de l'année, en ayant accompli peu de choses. Il doit immédiatement aller assiéger le château de Bedford dont s'est emparé Miles de Beauchamp. Celui-ci, tentant de profiter des difficultés du roi, lui promet son aide s'il lui laisse le contrôle du château18. Il ne le reprend qu'après cinq semaines. Puis il doit aller dans le nord car les Écossais font des raids dans la Northumbrie. À son arrivée, début février 1138, il repousse les Écossais dans leur royaume. En représailles, il applique une méthode déjà employée par son aïeul Guillaume le Conquérant quelques décennies plus tôt, en pratiquant la politique de la terre brûlée sur une bonne partie des terres du roi écossais. Durant les fêtes de Pâques 1139, le cas de l'élection d'Étienne est examiné par le second concile de Latran. Les avocats de l'Emperesse arguent qu'Étienne est un usurpateur et un parjure1. Le pape refuse de se prononcer et préfère attendre que les événements se décantent d'eux-même. À l'été 1139, influencé par les jumeaux Robert II de Beaumont, 2e comte de Leicester, et surtout Galéran IV, comte de Meulan, Étienne commet une grave erreur politique en arrêtant le chancelier Roger, l'évêque de Salisbury, et ses deux neveux, les évêques Alexandre de Lincoln et Néel d'Ely. Probablement victimes d'un coup monté, les trois hommes, qui dirigeaient l'administration anglo-normande, doivent rendre leurs châteaux pour avoir brisé la paix du royaume. À cause de cette manœuvre, Étienne s'aliène le clergé, ce qui affaiblit considérablement sa position1. Il est convoqué par le légat papal, qui n'est autre que son frère, pour s'expliquer de cet acte. Aubrey (II) de Vere, lui servant d'avocat, argumente qu'il est du droit du roi, en temps de guerre, de réquisitionner les châteaux stratégiques, et que Roger de Salisbury a été arrêté en tant que baron déloyal et non en tant qu'évêque. Le clergé ne peut rien contre le roi, ce qui ne calme pas son ressentiment.
Le 30 septembre 1139, Mathilde débarque en Angleterre, avec son demi-frère Robert de Gloucester, pour porter la contestation plus avant et exploiter le mécontentement ambiant. Elle est accueillie par sa belle-mère Adélaïde de Louvain, au château d'Arundel. Étant sous la protection d'une reine douairière, Étienne accepte de lui donner un sauf-conduit jusqu'à Bristol, convaincu par son frère qu'il vaut mieux confiner ses adversaires dans une seule région. Elle y est escortée par Henri de Blois, l'évêque de Winchester, et Galéran IV, le comte de Meulan. Elle y reçoit l'allégeance de Miles de Gloucester et de Brian FitzCount, puis s'installe à Gloucester, la ville principale de son demi-frère Robert. Le Sud-Ouest de l'Angleterre (Somerset, Gloucestershire, l'équivalent moderne du Monmouthshire, Herefordshire et occasionnellement le Worcestershire) s'affirme comme la base territoriale des enfants d'Henri Ier. Son soutien ne vient pas vraiment de ceux qui voient en elle le successeur légal au trône, mais surtout de ceux qui ont été floués par Henri Ier et ceux qui ont besoin de protection pour cause de rivalités locales.
Pendant que l'Emperesse est occupée à renforcer son contrôle sur le Sud-Ouest du royaume, Étienne gère les problèmes au fur et à mesure qu'ils se présentent1. Dans les six premiers mois de l'année 1140, il va assiéger l'évêque Néel d'Ely et le chasse de son diocèse ; il traverse tout le royaume pour aller combattre Reginald de Dunstanville, un fils illégitime d'Henri Ier, que sa demi-sœur l'Emperesse a nommé comte de Cornouailles. Enfin, peu après les fêtes de la Pentecôte, il va assiéger Hugues Bigot dans son château de Bungay. Avec la venue de sa concurrente sur ses terres, il a clairement perdu l'initiative politique dans ce conflit. En 1147, Robert de Gloucester, le charismatique commandant militaire de l'Emperesse meurt. Quelques mois plus tard, cette dernière, qui se reposait totalement sur lui, se retire du royaume. Elle laisse le soin à son jeune fils Henri Plantagenêt de poursuivre la lutte pour son propre compte. Pour Étienne aussi, l'heure est au passage de génération. Son fils Eustache est armé chevalier et reçoit le comté de Boulogne. Henri Plantagenêt, qui n'a alors que 16 ans, vient en Angleterre tenter sa chance, mais il attaque sans succès son cousin Philippe de Gloucester, et se retrouve à court de fonds pour quitter le royaume1. Étienne décide alors de payer les troupes du jeune prétendant à sa place pour se débarrasser de lui.
L'Angevin est de retour dans le royaume deux ans plus tard. Il se rend auprès de son oncle David Ier d'Écosse, qui l'arme chevalier. Leur plan de campagne dans le Yorkshire doit être abandonné, car Étienne anticipe leur mouvement en venant à York avec une armée. Henri est ensuite pris en chasse par Eustache dans l'Ouest du royaume et dans les marches galloises. Les troupes royalistes pillent et pratiquent la politique de la terre brûlée sur les terres de leurs ennemis1. Le jeune prince angevin doit retourner en Normandie au début de l'année suivante, sans avoir rien réussi.
En 1150 sur le continent, Henri Plantagenêt est investi du duché de Normandie par son père. Il prépare alors une invasion de l'Angleterre, mais la mort de son père en 1151 lui fait repousser le projet. En 1152, ses partisans le pressent de venir en Angleterre, car l'influence d'Étienne va grandissante1. Toutefois, en mai 1152, Mathilde de Boulogne, l'épouse du roi et son principal soutien et compagnon meurt. C'est un premier coup dur pour Étienne. En janvier 1153, quand Henri débarque dans le royaume, il est duc de Normandie, comte d'Anjou et gouverneur d'Aquitaine. Il a dorénavant les ressources financières pour entreprendre une grande campagne qu'il veut décisive, et réunir à nouveau la Normandie et l'Angleterre, ce qu'il est le seul à pouvoir faire. Les barons et le clergé, exaspérés par cette guerre civile qui n'en finit plus, veulent maintenant y mettre fin. Étienne est informé que plusieurs de ses barons ont envoyé des émissaires secrets au duc de Normandie pour faire la paix avec lui. Après quelques affrontements armés, le roi est forcé par ses barons à accepter une trêve dans le conflit1. En août 1153, les deux camps se rejoignent à Wallingford, château de Brian FitzCount, fidèle de la cause angevine. Là, les adversaires s'entendent pour discuter des détails d'un traité de paix1. Des négociations avaient déjà eu lieu en 1140, 1141 et 1146, mais cette fois-ci, avec la mort récente de son fils Eustache († 1153), la situation est plus favorable.
Les deux camps s'entendent pour que Étienne reconnaisse Henri Plantagenêt comme son fils et successeur, et qu'il reste sur le trône le reste de sa vie durant. Le traité ne lèse personne et satisfait donc tout le monde1. Ses termes sont les mêmes que ceux proposés par Henri de Blois en 1141 pendant l'emprisonnement d'Étienne. L'intransigeance de l'Emperesse a donc conduit à douze années de guerre civile supplémentaires. Quand Henri retourne en Normandie, au printemps 1154, il ne s'attend pas à ce qu'Étienne meure dans les mois qui suivent. Le 25 octobre 1154, le roi d'Angleterre meurt au prieuré de Douvres, après de violents maux de ventre, accompagnés de saignements. Il est inhumé aux côtés de sa femme et de son fils aîné dans l'abbaye de Faversham. Comme comte, Étienne fut un courtisan modèle. Il sut s'élever progressivement dans la faveur royale par ses services et ses aptitudes. Pour Guillaume de Malmesbury, « Étienne, par sa bonne nature et la manière qu'il avait de plaisanter, de côtoyer et de manger même avec les plus humbles, s'était attiré une affection que l'on peut difficilement imaginer ».
Comme roi, il fut plus durement examiné par les chroniqueurs contemporains. Il garda toujours sa bonne nature et ne se mit pas facilement en colère. Celle-ci était alors dirigée précisément contre ceux qui lui avaient manqué de respect ou désobéi. Il sembla aussi très attentif à l'étiquette, à la loyauté qui lui était due, et sa propre dignité royale. Pourtant, il n'hésita pas à arrêter des barons à sa cour, à renier des accords passés avec ses barons, et à trahir son serment d'allégeance à l'Emperesse.
Étienne a toujours été vu et décrit comme un roi faible, manquant de caractère et surtout d'autorité. Notamment, il abandonna le siège de Bristol (1138), donna un sauf conduit à l'Emperesse au moment de son débarquement (1139), libéra Geoffrey de Mandeville et Ranulf de Gernon etc. Pour A. Fraser, il fut incapable de dominer sa cour et son royaume6. Pour elle, il n'était sûrement pas sot, mais commit parfois l'erreur de vouloir être trop habile. Il était un chef compétent en matière militaire, même s'il fut battu dans les deux batailles d'ampleur auxquelles il participa. Mais sur le plan politique il avait de grandes difficultés, et pour C. Tyerman, il était même un incapable, ce qui explique son échec en tant que monarque.



